Lettre en dépot

Takaris se pencha sur le comptoir, souriant, et a voix basse à l'intention de Bruuck

Dit moi vieux grincheux, tu connais Shaana ? Une belle plante aux ch'veux blanc, un tabard un peu comme le notre, le clan LunArgent, oui, voilà, cette petite là. Tu pourrais lui remettre cette lettre s'il te plait ? Oui, elle ou quelqu'un d'sa meute... Non, bas les pattes, t'y touches je te sépare le cou de la tête

Il ne resta que le rire des deux hommes et la lettre sur le comptoir quand Takaris quitta la Taverne du nain.


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Shaana.
Pas besoin de crier, griffer ou me chercher.
Je sais bien que je ne t'ai pas prévenu de mon départ, pour tout t'avouer, je me serais bien passé de ce voyage, je n'ai devant moi que le temps de rédiger cette lettre et la déposer chez Bruuk, qui fera son possible pour te la faire parvenir.
Je sais aussi qu'une lettre n'est pas tout à fait le genre de chose auquel tu aurais pu t'attendre de ma part, mais je me demande si le rendez-vous auquel je vais n'est pas qu'un immense guet append.
Sache simplement que si je ne revenais pas dans une semaine, c’est que je ne reviendrais plus, et que Bruuk pourra s’endormir sur mon ardoise.
Si c’était le cas et que tu étais assez stupide pour essayer de me rejoindre, où que je puisse être, ne t’attend qu’au mépris de ma part, il y a trop peu d’elfe digne d’intérêt qui peuple Azeroth pour que la plus belle d’entre eux abrège volontairement son séjour parmis les vivants.
Il me faut aussi ajouter que ta présence, dans ma vie, est une richesse a laquelle je ne m’attendais pas. Tu sais m’enrichir sans jamais me grever, être présente sans jamais t’imposer, je ne regrette rien et notre pacte tiens toujours.
Je t’aime.
Takaris

De nouveau il était dans l'obligation de fouler le sol de cette cité fourmillante. De nouveau ses bottes ferrées crissaient sur le granit brut usé par des milliers de pas avant les siens, et qui le serait encore par des milliers d'autres après eux.

Il revenait de l'endroit où quelques Gnomes respacés avaient élu domicile, à l'entrée de la tanière de leur terrifiant serpent de métal aux relents d'huile brûlée qui ralliait la cité des Hommes. Un contact parmi les Gnomes aurait-eu, lui avait-on dit, possibilité de lui obtenir la copie d'une partition incunable d'un instrument nommé "cithare électrique". Le doute était permis mais la curiosité l'avait emporté. Il était venu, et il avait regretté.

Il allait traverser d'un pas rapide la vaste place sur laquelle s'ouvrait la taverne de Bruuk, se dirigeant vers la plate-forme des gryphons. Pourtant il se ravisa. Après avoir sué sous l'effet de la chaleur dissipée par les machines infernales des Gnomes, il souhaitait faire une pause. S'envoler si vite dans l'air glacé des montagnes lui semblait peu avisé. La taverne de maître Bruuk semblait le lieu approprié pour se détendre un peu, d'autant qu'il n'oubliait pas qu'une réponse était susceptible de l'attendre là.

Il faillit sursauter en entrant : Un Elfe sortait d'un pas si décidé qu'on aurait pu mettre un Kodo sur son passage sans qu'il s'en émeuve, le visage empreint d'une détermination étonnante, presque farouche. Il s'effaca prestement, laissant le passage à l'inconnu avant de se diriger vers le comptoir.

Comme il se posait précautionneusement sur la surface graisseuse, il avisa une lettre restée là, comme en souffrance. Suivant son regard Bruuk s'empara vivement de la missive avant de l'insérer dans les pages du même gros volume bleu et argent que le barde avait déjà remarqué précedemment. Mais avant que le papier ne disparaisse dans l'épaisseur du livre, Bruuk se figea un instant.

- Dites moi... Vous connaissez une dénommée Shaana ?
- Shaana... Je connais cette jeune dame de vue, mais guère plus. Que voulez-vous savoir maître Bruuk ?.
- Mmouais bon, oubliez ça. Qu'est-ce que je vous sers ? A moins que vous ne soyez venu m'aider à écouler mon stock ? Allez installez-vous et faites nous chanter et boire, je viendrai vous servir moi-même... peut-être !

Partant d'un rire gras autant que communicatif, le tavernier acheva de glisser le message dans les pages de vélin avant de prendre conscience du regard bienveillant de son client qui n'avait pas bougé de sa place.

- Rien pour moi ? réclama le barde en jetant un oeil au volume bleu et argent.
- Mmh ? Ha ! Non rien. Allez file l'artiste, et plus fort que ça, j'entends rien !

Le vent s’engouffrait dans ses cheveux emmêlés, la pluie se mêlait à ses larmes. Debout au sommet de l’un des Colosses Jumeaux, elle laissait son regard se perdre par delà la cime des arbres, sur l’horizon embrumé où le soleil faisait place à la nuit.
Sa main serrait encore cette lettre, qu’elle avait froissée, comme si son poing serré pouvait retenir le Temps, empêcher le Destin de s’accomplir.

Elle la connaissait par coeur. Elle l’avait lue et relue, refusant l’évidence, repoussant la fatalité, pour ne retenir que ces deux mots si doux qui achevaient la lettre.

Elle se sentait trahie. Repoussée.
Il l’avait volontairement mise à l’écart de sa vie, exclue de ce passé qui le rattrapait. Il était redevenu solitaire.
Il avait dit vouloir partager sa vie. Elle avait voulu partager son Destin.
Il aurait du partager...
Partager ses peines, ses secrets.
Partager ses dangers, ses peurs.
Partager son sort, partager sa mort…

Il avait voulu la protéger. Peut être se protéger lui même, sans laisser à Shaana le droit de décider de son propre sort. Il avait fui pour ne pas avoir à affronter la peur de la perdre. Il lui faisait subir, ce que lui avait peur de subir.

Shaana sentait une rage sourde monter en elle, repoussant peu à peu la peine, faisant place à la colère. Le vent redoubla de puissance, les éléments eux mêmes, semblaient se fondre avec la tempête qui faisait rage dans son cœur.

Elle cherchait son esprit, mais il était loin. Absorbé dans ses pensées, il s’était coupé d’elle.

Les secondes s’égrenaient lentement, une à une, au rythme de son coeur. Une semaine à attendre. Une semaine d’angoisse, de peur, de chagrin et de rage.

Elle regarda autour d’elle. L’herbe était toujours verte, l’eau du lac clapotait, poussée par le vent. Elle aimait cet endroit. Le premier lieu où il l’avait emmenée, où il l’avait émerveillée. Un moment de paix, et de calme, pour un amour naissant.

Sa main effleura l’herbe à l’endroit exact où ils s’étaient endormi, ce soir là. Les souvenirs affluaient, comme des vagues poussées par les rafales du vent d’automne.
Comment pouvait il imaginer qu’elle puisse vivre sans lui ?
Comment pouvait il lui demander de lui survivre, de ne devenir qu’une ombre, de ne plus être qu’une moitié d’elle même ?
Comment pourrait elle être belle, sans le miroir de ses yeux ?

La pluie et le froid de la nuit la faisait frissonner. Elle se coucha à cet endroit, blottie sous sa couverture trempée, serrant dans ses bras l’ombre de l’être aimé.

« Reviens moi mon amour… »
Son murmure s’éteignit alors qu’elle sombrait dans le Rêve…

Thoraïm Sirote un grog à la cerise tout en consultant le grand livre bleu veiné d’argent. Il constate que la lettre n’est plus présente. La veille il avait demandé des renseignements à Bruuk sur le messager de cette mystérieuse lettre. Mais le maître des lieux trop occupé à compter la recette de la soirée l’avait envoyé balader.

-Bruuk !

Bruuk tout sourire arrive avec un plateau chargé de boisson et dépose un nouveau Grog.

-Tiens en voilà un autre l’ami, n’hésites pas mes tonneaux sont inépuisables.

Bruuk Termine sa phrase d’un rire gras.

-Bruuk, j’ai besoin que tu fasses appel à ta mémoire.

-Encore !

- Qui est la dernière personne à avoir déposé un message pour les Lunargents ?

- Je n’ai pas que ça à faire. Mes clients ont soif.

Thoraïm le retient par la manche, l’implorant du regard.

-Réfléchis, c’est important, les gens nous laissent rarement des messages futiles.

Bruuk bougonne une phrase.

-Un elfe avec un tabard proche du tiens, mais avec une couleur différente, plus sombre ou verte, je sais plus. Par contre y a une chose dont je me rappel bien, c’est qu’il n’est pas bon client, il n’a rien consommé. Des clients comme ça je m’en passerai volontiers.

Bruuk pose un autre grog sur la table.

- Je me rappelle t’avoir vu ici avec lui et ton amie Shaana. Tu le boiras à leur santé. Thoraïm, toi au moins tu sais faire honneur a ma boisson.

Puis Bruuk se dirige en rigolant vers une autre table.


Thoraïm tourne son grog entre ses mains. Il trouve étonnant que Takaris ait laissé un message à Bruuk pour sa Shaana. Une ombre traverse l’esprit de Thoraïm. Inquiet, il se lève laissant les deux verres pleins et s’en va voir s’il peut obtenir des nouvelles de la belle Shaana auprès de Petite Perle et des autres Lunargents.