Au cœur de la forêt, là où tout devient plus dense, plus sombre, où les arbres ne laissent presque plus passer le soleil, une jeune louve rodait, à la recherche d’une proie.
Elle était fatiguée, amaigrie, les forces lui manquaient. Voilà déjà deux fois qu’elle laissait s’enfuir un jeune daim séparé de sa mère. Elle s’essoufflait trop vite, elle était trop fatiguée.
Dormir… Se reposer un instant…
La langue pendante, la louve repris la traque. Elle n’avait pas le droit de traîner. Là bas, dans la tanière, ses petits l’attendaient. Ils avaient faim, et elle seule pouvait les nourrir.
Ils étaient nés en même temps que ceux d’Ombrenuit. Trop de petits à nourrir en même temps. La meute ne pourrait pas. Il était rare dans une meute, qu’un loup choisisse de s’unir à une autre louve que la louve dominante. En général, seul le couple dominant s’unit, afin de ne pas mettre en péril la survie de la meute. Mais Crocs l’avait honorée, seulement quelques jours après Ombrenuit.
La viande que la meute ramenait suffisait à peine à tous les nourrir. Ses petits n’avaient droit de se nourrir qu’en dernier, bien après ceux d’Ombrenuit. Elle voyait les siens dépérir, alors que ceux de la louve blanche prenaient du poids et quittaient déjà la tanière pour commencer leurs jeux. La meute n’acceptait pas, ils n’auraient pas du naître.
Ombrenuit jubilait. Non, elle ne devait pas la laisser gagner, ses petits devaient vivre !
C’est un festin bien pauvre qu’elle ramena. Deux pauvres maigres lapins, qu’elle avait réussi à dénicher dans leur terrier. Mais ses petits mangeraient, au moins aujourd’hui. Une journée de répit gagnée, une journée de vie en plus…
La meute était étrangement calme à son retour. Seuls les petits d’Ombrenuit glapissaient en jouant devant la tanière. Une odeur étrange flottait dans l’air. Une odeur désagréable. Elle ne sentait pas ses petits. Elle ne les entendait pas. L’angoisse la saisit. Malgré la fatigue, elle accéléra sa course. Elle vit le regard triomphant d’Ombrenuit…
Ses petits gisaient, là où elle les avait laissés, égorgés. Les marques ne laissaient aucuns doutes quand à la nature des crocs qui s’étaient plantés dans leur jeune gorge.
La rage décupla soudain les forces de la jeune louve, et sans réfléchir, sans hésiter, elle se jeta sur Ombrenuit.
La surprise saisit la louve dominante. Elle eut à peine le temps de bondir en arrière, mais déjà les crocs se plantaient dans la gorge, la mâchoire se refermant en une étreinte de mort, piège d’acier qui aspirait sa vie…
La jeune louve laissa retomber le corps inerte secoué des derniers soubresauts de vie. Elle utilisa ses dernières ressources, ses dernières forces, pour fuir, loin, courir vite, loin de la meute, traverser la forêt… Vite…
Quand elle eut brûlé ses dernières forces, la louve se laissa tomber au sol. L’orée de la forêt était proche. Trop proche des Deux Pattes pour que la meute ne vienne la chercher. Trop dangereux…
Elle se traîna jusqu’au fourré le plus proche, et s’effondra sous un buisson…